Deux arts, deux styles, une voie


 

Une comparaison de deux arts martiaux japonais apparemment différents : le Karate-do et l’Aikido

Par Tom Muzila

Cet article est traduit de l’article anglais « Karate-do – Aikido comparison » publié dans le site « Shotokai Karate-do Encyclopedia »

La traduction est réalisée par Jeff de BudoKrd. Merci beaucoup, Jeff !

 

L’aïkido et le karaté Shotokan sont généralement considérés comme deux « styles » très différents. Ils semblent, en tant qu’arts martiaux, provenir des deux extrémités d’un spectre qui opposerait souplesse et dureté. Cependant, ils partagent de nombreuses similarités.

Bien que les gens interprètent souvent l’aïkido comme un style passif, le maître Steven Seagal qui a vécu au Japon pendant 15 ans et a étudié l’aïkido au dojo principal (centre d’entraînement) à Tokyo s’oppose à cette vision : « Le but fondamental de l’aïkido vient du concept martial original de devoir tuer son adversaire. Tous les aspects spirituels abstraits sont acquis à partir de cette base. Vous devez être capable de tuer et de couper tout ce qui vous unit à la vie pour donner la vie. »

Steven Seagal insiste sur le fait que l’aïkido (real Aikido) peut être extrêmement dangereux. Une personne non entraînée ne sait pas chuter ni comment faire s’il est projeté. Dans un combat réel, cette personne se casserait sûrement une articulation, son dos ou son cou !

A l’opposé le shokotan karaté est perçu comme un art dur et violent. Cependant, par beaucoup d’aspects techniques et spirituels, le shokotan est très doux.

Regardons la façon avec laquelle les pratiquants de karaté et d’aïkido évoluent : Le karateka débutant exécute les frappes avec sa force musculaire, il contracte ses muscles tout au long de la technique. Les muscles travaillent les uns contre les autres. Après quelques mois d’entraînement, il apprend à se détendre lors de la frappe et à ne bander ses muscles qu’à la fin de l’attaque. Au niveau suivant de la progression, il ne se tend même plus à la fin de la frappe mais utilise tout son corps au fur et à mesure de la technique. Il faut avoir répété le geste plusieurs milliers de fois avant d’atteindre ce niveau. Les pratiquants expérimentés exécutent la technique, totalement détendus, avec leur corps et dans un état de concentration interne intense. Le karateka doit donc laisser son corps trouver la façon la plus économique et la plus efficace de frapper à travers un entraînement rigoureux et appliqué avec un état d’esprit approprié.

Cette approche est très similaire à celle de l’aïkido. D’après Steven Seagal, la plupart des techniques d’aïkido sont fondées sur un carré, un triangle ou un cercle. Quand une personne commence à pratiquer, ses techniques sont exécutées suivant un carré. Après 6 mois ou un an de pratique, elles évoluent vers le triangle. Eventuellement après quelques années, le pratiquant agira selon un cercle. A ce niveau, les techniques sont effectuées efficacement et économiquement avec une dépense minimale d’énergie. Le cercle ensuite évoluera progressivement vers une spirale aérienne et continue, niveau suprême de la pratique.

Ainsi, alors que les premières années d’aïkido et de karaté peuvent être perçues comme très différentes, l’évolution des techniques est relativement semblable. Chacun à sa manière évolue d’une base structurée, dure et rigide vers un état relâché, efficace et économique.

Si les grades au karaté et en aïkido sont différents, les deux arts utilisent le système de dan (ceinture noire) dont les niveaux indiquent un état d’esprit et de technicité similaires. Les deux systèmes se fondent sur une durée de pratique et sur une évolution personnelle.
shintoisme niveaux

 

 

Ueshiba Morihei (appelé aussi O Sensei), le fondateur de l’Aïkido, était très impliqué dans la dimension spirituelle de son art. Steven Seagal pense que O Sensei a fondé son système de grades (du premier au dixième dan) à partir de la représentation Shinto du monde. Les 9 cercles autour du centre représentent les planètes, le cercle central représentant la présence divine sur terre.

 

 

bouddhisme niveaux

 

Le fondateur du karaté Shotokan, Gichin Funakoshi a créé pour sa part un système comprenant 5 dan. Ces 5 dan sont répartis le long de la vie de pratique de la même façon que les 10 dan de l’Aïkido. Funakoshi s’est inspiré du système de grades existant pour le judo et le kendo. Pour Tsutomu Ohshima, distingué BLACK BELT’s 1987, le système des 5 dans proposé par Funakoshi s’inspire des 5 niveaux de conscience à travers lesquels un individu évolue dans les philosophies Zen, Bouddhiste et Shintoïste.

 

karate niveaux

Il est intéressant de constater à quel point le système de grades de Funakoshi prend ses racines dans les religions orientales.

Shodan (premier dan) indique que l’on a acquis des bases techniques fortes ainsi qu’un sens physique développé. Dans les religions orientales, ce premier niveau correspond à l’apprentissage du contrôle des sens physiques : vue, odorat, toucher, ouïe et goût.

Pour atteindre le grade Nidan (deuxième dan), on doit démontrer une compréhension des combinaisons et les appliquer stratégiquement. Pour les religions orientales, le deuxième niveau représente le contrôle de l’intelligence et des stratégies afin de les appliquer dans la vie.

Sandan (troisième dan) demande l’acquisition du calme, d’un esprit fort et d’un relâchement des épaules ! Ce troisième niveau pour les religions orientales correspond à l’acquisition de la sérénité permettant la méditation.

Yodan (quatrième dan) met l’accent sur l’unité entre l’esprit et le corps dans la réalisation des techniques, le rapport à l’autre doit transparaître dans chaque action. Côté religion, ce niveau est celui de la relation corps-esprit articulé autour de la compassion.

Godan (cinquième dan) c’est l’exécution impeccable des techniques tant d’un point de vue physique que moral. Cela implique une conscience spirituelle s’exprimant à travers la discipline personnelle de l’être. La spiritualité et l’unité avec Dieu sont l’expression de ce niveau dans les religions orientales.

Bien que l’aïkido soit construit sur un système de grades à 10 dan, la progression est similaire à celle du karaté et à celle des religions orientales.

Les deux premiers dan de l’aïkido mettent l’accent sur les bases techniques et les combinaisons ainsi que sur la compréhension de leur stratégie d’application.

Les troisième et quatrième dan demandent un esprit calme et assuré pouvant générer un Ki puissant montrant la maîtrise de l’énergie intérieure.

Le cinquième dan développe l’aspect spirituel et la canalisation des forces de l’univers à travers la pratique.

Les 5 niveaux suivants amplifient l’aspect mystique et l’essence spirituelle de l’art. La capacité de chacun de développer son ki et de se concentrer sur l’aspect altruiste de sa pratique représente une part importante de ces niveaux de maîtrise. D’après Steven Seagal, seules quelques rares personnes ayant atteint un tel niveau de maîtrise existent.

Même les différents niveaux de stratégie et de capacité de combat sont étonnamment similaires entre l’aïkido et le karaté.

Le premier niveau de contrôle de l’adversaire s’exprime à travers des combinaisons et des enchaînements de techniques. Au niveau suivant, lorsque votre partenaire bouge, vous l’avez déjà frappé ou battu. Ensuite, vous êtes tellement puissant que votre adversaire ne peut même pas initier son mouvement. Le pratiquant apprend enfin à enlever l’esprit de combat de son agresseur et à utiliser son mouvement contre lui-même. Le niveaux le plus haut étant la prévention absolue de toute confrontation, c’est l’harmonie parfaite.

Ueshiba et Funakoshi possédaient deux caractères très différents mais néanmoins très semblables dans l’expression des concepts et des principes des arts martiaux car intimement liés à la vie elle-même.

Nous pouvons par exemple comparer des citations émanant de ces deux grands budokas :

Ueshiba : « Par l’Aiki vous développerez toute votre puissance pour atteindre l’harmonie paisible avec le monde »
Funakoshi : « Souvenez-vous du contraste présent dans ces trois éléments : Force et faiblesse dans la puissance; Extension et contraction dans le corps; Rapidité et lenteur dans les techniques »

Ueshiba : « La plus grande victoire est la victoire sur soi-même. »
Funakoshi : « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même, sur cent batailles tu ne seras jamais en péril »

Ueshiba : « Combattre au moyen de techniques, gagner et perdre ne sont pas le vrai budo. Le vrai budo ne connaît ni victoire ni défaite. Ne jamais être vaincu signifie ne jamais avoir à combattre »
Funakoshi : « Gagner 100 victoires sur 100 batailles, là n’est pas le vrai but. Soumettre son ennemi sans avoir à combattre, là est l’objectif le plus haut. »

Ueshiba : « Votre état intérieur doit être comme une grande mer calme et sereine »
Funakoshi : « Un grand homme n’est jamais perturbé même s’il doit être confronté à un évènement ou une crise inattendue »

Ueshiba : « L’essence de l’aïkido ne ment pas lors du combat »
Funakoshi : « Celui qui s’entraîne réellement dans cette voie (do) et comprend réellement le karate-do ne sera jamais entraîné facilement dans un combat »

Ces citations montrent à l’évidence que Funakoshi ET Ueshiba insistent sur l’importance non seulement de faire UN de son corps et de son esprit mais également sur le fait de fusionner sa pratique et sa vie.

Les chemins de l’aïkido et du karaté peuvent sembler opposés si l’on considère des éléments spécifiques et pourtant ils sont similaires de bien des façons. Il y a en effet beaucoup de paradoxes. Bien que chaque chemin soit différent, on peut aboutir à un état technique et mental similaire en karaté ou en aïkido. Même des techniques avancées comme certaines projections ou bien des entrées de type irimi possèdent des éléments de nature semblables. Même s’il y a des différences subtiles dans la manière dont les bras ou les pieds bougent, les fondements et les principes d’exécution de base sont identiques.

Les similitudes entre les deux arts se retrouvent partout : mentalité, alignement, concordance, connexion, timing, distance, hanche, état du corps,… La mentalité, l’esprit avec le quel une technique est exécutée est semblable car le pratiquant doit abandonner mentalement sa propre vie avant qu’il ne soit attaqué. Il doit entrer dans cet état d’esprit afin de se sentir et d’être un seul avec l’adversaire. C’est l’état de pensée non consciente appelée mushin (pas d’esprit) par les japonais.

Les paramètres régissant les principes de base de l’aïkido et du karaté sont très semblables. Dans les deux styles, le pratiquant doit être capable de bouger de la façon la plus économique et efficace sans ressentir aucune force de résistance extérieure. L’esprit, le corps et les hanches, tout doit bouger comme une seule unité conduite par une force intérieure physique et spirituelle. Ueshiba disait pour décrire cette expérience : « Mon adversaire ne peut m’enlever ma force car je n’en utilise aucune ». La personne qui peut acquérir cet état de « non force » acquerra plus de vitesse. Il devra travailler pendant des années pour acquérir ce gain d’une fraction de seconde, mais dans les arts martiaux, une fraction de seconde peut faire la différence entre la vie et la mort.

Que se passe t-il alors lorsque l’on rencontre un adversaire de force et de technique égal à son propre niveau ? Quel sera le facteur discriminant à ce niveau de pratique ? La réponse est l’esprit – le facteur le plus important entre tous. Celui qui a poli son esprit pour en faire un cristal brillant sans aspérité, ne laissant aucune prise, celui-là fera la différence. Pour atteindre cet état, on doit passer au-delà de nombreuses barrières comme l’influence de la souffrance, des émotions, des peurs et de l’insécurité.

L’entraînement doit être l’un des plus durs et rigoureux qu’il puisse être. On devra à travers cet entraînement découvrir l’enfer afin d’apprécier le paradis. La personne au mental aiguisé et entraîné sait et sent dans son esprit qu’il a vaincu son adversaire avant même que le combat n’ait commencé.

Pourquoi est-il si difficile pour la majorité des pratiquants d’intégrer et d’harmoniser l’ensemble de ces principes ? Ils doivent avoir la capacité de filtrer les concepts et les théories non réalistes lors de leur entraînement. Ils doivent être entourés d’anciens élèves, bons pratiquants et d’un sensei pour les guider. Mais, plus que tout, ils doivent se reposer sur eux-mêmes et avoir confiance en eux pour voir la vérité dans leurs techniques et dans leurs applications lors de l’entraînement et dans leur propre vie…

A propos de l’auteur : Tom Muzila est ceinture noire en shotokan-karate aux Etats-Unis. Il est l’élève de Tsumotu Ohshima.

Cet article est paru pour la première fois dans le Black Belt Magazine en Avril 1988.

Note d’Emilie : Je viens de recevoir un commentaire qui m’a fait rendre compte que parmi les lecteurs, il y en a qui connaît Steven Seagal comme acteur de cinéma seulement, c’est la raison pour laquelle je vous invite à regarder quelques vidéos qui montrent que Steven Seagal est avant tout un grand maître d’Aïkido (7è Dan).

Bonne visualisation !

 

 

 

 

Commentaires: Commentaires fermés sur Deux arts, deux styles, une voie

Devenez fan

Amazon Prime Essayer avant d’acheter

Amazon Prime Video

Amazon Prime Etudiant(e)

Amazon Cadeaux personnalisés

Amazon Artisanal

Amazon Prime

Coin des vidéos